Un instant charnière délicat présentant une opportunité historique

Le bilan d’un mois de la belle révolte populaire au Liban permet déjà d’établir des records historiques. C’est la première fois que les manifestations durent un mois sans discontinuer, même si l’intensité des protestations a varié, sur l’ensemble du territoire libanais ; que les banques ferment leurs portes pendant trois semaines ; et que les institutions politiques ou les mécanismes habituels du pouvoir sont en panne, que ce soit le gouvernement, le parlement ou les modalités des consultations parlementaires pour la désignation d’un premier ministre. La coïncidence de ces trois séquences n’est pas due au hasard. La fermeture des banques est la conséquence d’une crise financière très grave et sans précédent ; et la persévérance des manifestants est la conséquence de cette même crise. Même si cela semble moins évident, c’est aussi cette crise qui est responsable de l’effondrement du système politique de fait fondé sur l’alliance conflictuelle, avec partage des bénéfices entre les six chefs de quatre communautés et la marginalisation des autres. Ce système s’est effondré de l’intérieur, son mécanisme central n’étant plus irrigué, les dollars n’alimentant plus dans ses circuits de redistribution.

Il est important de souligner que la faillite n’est pas due aux manifestations. Elle n’est pas davantage la conséquence de la démission de certains dirigeants, qui ont saisi l’opportunité de ces manifestations pour démissionner de leurs responsabilités et tenter de se fondre parmi les manifestants, tandis que d’autres persistent dans leur déni, misant sur l’épuisement des gens sans hésiter parfois à user de la menace directe. Elle n’est pas non plus le résultat de l’ingérence des puissances extérieures, sachant que l’ingérence la plus flagrante dans notre région du monde provient de la puissance hégémonique américaine, de ses alliés occidentaux et en particulier d’Israël, son agent local. Cela ne nie en rien la réalité de ces ingérences, elles sont persistantes et se trouvent d’autant plus facilitées que les sociétés sont plus divisées.

Nous considérons, au sein du mouvement « Citoyens et Citoyennes Dans un État », que nous sommes à un moment charnière de l’histoire du Liban. La situation est particulièrement délicate et les risques sont immenses, car de nature à détruire notre société. Mais elle offre aussi, par la même occasion, une opportunité exceptionnelle de réaliser une réorientation historique de notre trajectoire politique en nous permettant de jeter les bases solides d’un État véritable, c’est-à-dire d’un État laïque, seul en mesure de protéger la société, c’est-à-dire l’ensemble de la population.

Et puisque nous sommes à une étape charnière et délicate de notre histoire, nous nous devons d’aborder le plus clairement possible toutes les questions épineuses qui sont posées sur la scène politique libanaise. Nous commencerons par les plus urgentes, à savoir la crise financière qui se déroule sous nos yeux. Pour remonter à l’origine de la tragédie que nous vivons aujourd’hui et qui tient à la nature des relations de pouvoir au sein de la société. Sans éluder les controverses qui semblent diviser la société la poussant à ignorer les manifestations et les causes de ses déboires.

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