Les réserves d’or du Liban sont-elles bien protégées?
Article Publié dans l’Orient-le-Jour, Le Vendredi 11 Octobre 2019 et disponible sur le lien ci-joint
Philippe Hage Boutros
Le parti Mouwatinoun wa Mouwatinat fi Dawla rebondit sur les rumeurs évoquant la possibilité que les réserves d’or aient pu être utilisées comme garanties pour permettre au pays d’attirer des capitaux.
Les réserves d’or du Liban, ultime actif financier du pays placé sous la responsabilité de la Banque centrale, sont-elles bien protégées ? Telle est la question qui est soulevée par le parti issu de la société civile, Mouwatinoun wa Mouwatinat fi Dawla, de l’ancien ministre du Travail et des Télécoms Charbel Nahas, qui a communiqué sur le sujet ces dernières semaines.
La formation politique qui s’était présentée aux législatives de mai 2018 a publié un long argumentaire sur le sujet sur son site internet, rappelant que le Liban possède près de 287 tonnes d’or (10 116 572 onces). Une quantité stable depuis des années et qui constitue la deuxième réserve parmi les pays arabes et la 18e dans le monde. Selon les chiffres de la Banque du Liban (BDL), la valeur de ces réserves a atteint 13,7 milliards de dollars à fin septembre, soit un bond de 25 % en un an.
« Cet or est presque la seule richesse du pays. Il est important de savoir qu’il est en sécurité et ne risque pas d’être saisi à un moment où le pays traverse une grave crise économique et financière », souligne Charbel Nahas.
Garanties sur l’or
L’interrogation soulevée par Mouwatinoun wa Mouwatinat fi Dawla donne un écho aux rumeurs qui circulent depuis cet été quant à la possibilité que les réserves d’or aient pu être utilisées comme garanties pour permettre au Liban d’attirer des capitaux, à un moment où la stabilité financière du pays, très endetté et déficitaire, est plus que jamais au centre de toutes les attentions.
Or, cet été, le gouverneur de la BDL Riad Salamé a annoncé que la Banque centrale avait attiré de nouveaux dépôts issus « du secteur privé non résident », quelque temps après l’actualisation annoncée fin juin des modalités des opérations d’ingénierie financière lancées par la BDL pour doper ses réserves en devises et relancer la croissance des dépôts. Plusieurs sources concordantes ont confirmé que l’opération portant sur un montant d’environ 1,5 milliard de dollars, sur laquelle peu de détails officiels ont filtré, avait été pilotée par la SGBL et la banque d’investissement américaine Goldman Sachs.
« On peut légitimement se demander quelle contrepartie ou garantie aurait obtenu quelqu’un qui accepte de déposer environ 1,5 milliard à 11/12 % à la BDL alors qu’il pourrait obtenir beaucoup plus en achetant des eurobonds (titres de dettes en devises émis par l’État libanais), vu que la dégradation de la situation financière a poussé leurs rendements à la hausse », résume M. Nahas à L’Orient-Le Jour. « Rien ne permet de l’affirmer pour l’instant, mais l’hypothèse suggérant qu’une garantie sur l’or détenu par le Liban ait été accordée se pose, même si ceci est en principe interdit », ajoute-t-il.
L’ancien ministre rappelle que l’or du pays est protégé par une loi (n° 42) votée en 1986, qui dans son article unique interdit à quiconque de disposer, directement ou indirectement, de ces réserves placées à la BDL, sans l’autorisation expresse du Parlement, donc par le vote d’une loi. Le même texte est également brandi par les personnes qui, au sein du secteur bancaire, réfutent catégoriquement cette possibilité. « Ce ne sont que des rumeurs fondées sur rien. Elles ont surgi au moment où la Banque centrale a évoqué le milliard et demi de dépôts et elles refont surface depuis que le Premier ministre Saad Hariri a indiqué, lors d’un voyage officiel à Abou Dhabi mardi, que les Émirats arabes unis étaient prêts à aider économiquement le Liban. La BDL ne peut pas disposer de l’or si les députés ne donnent pas leur feu vert », martèle une source proche de la Banque centrale. La BDL ne s’est pas officiellement exprimée sur le sujet.
Immunité de souveraineté
Charbel Nahas insiste néanmoins, en indiquant que si la loi protège effectivement l’or qui se trouverait encore sur le territoire libanais, il n’existe pour l’instant aucune assurance que le texte puisse protéger l’or qui est stocké aux États-Unis, où la loi américaine s’applique. « Si la loi n° 42 ne s’applique pas aux États-Unis, rien ne pourrait en théorie empêcher la BDL (qui par le passé s’était déjà prononcée en faveur d’un amendement de la loi n° 42 pour optimiser la gestion de l’or) de se servir de l’or stocké à Fort Knox comme garantie pour attirer les gros déposants étrangers », raisonne M. Nahas.
La question peut difficilement être tranchée de façon définitive avec les éléments actuellement connus. Si le principe d’extraterritorialité de la loi d’un État sur ses biens et ses nationaux est admis en droit international, il faut néanmoins connaître sous quelles conditions cet or a été transféré aux États-Unis à partir des années 1970 pour pouvoir se prononcer, notent des experts interrogés par L’Orient-Le Jour. Or tous les interlocuteurs interrogés à ce sujet soulignent l’opacité qui entoure ces conditions. Le département américain du Trésor n’a en outre jamais réellement fait preuve de transparence concernant l’or stocké à Fort Knox.
Ce qui est certain, c’est que la plupart des pays ayant souhaité rapatrier tout ou partie de leurs réserves qu’elles avaient confiées aux États-Unis des décennies plus tôt, comme l’Allemagne ou encore la Turquie, se sont heurtés à des difficultés.
Le champ d’application de la loi n° 42 n’est toutefois pas la seule préoccupation de Mouwatinoun wa Mouwatinat fi Dawla qui pointe également du doigt le fait que l’État libanais a renoncé à son immunité souveraine de juridiction au moment où il a décidé d’émettre des eurobonds. « Une des clauses qui s’applique pour ces souscriptions prévoit en effet que l’État se soumette de façon irrévocable à la compétence des tribunaux new-yorkais pour tout litige lié aux engagements financiers souscrits. Le texte impose également que tous les actifs de l’État libanais – à l’exception de trois catégories d’actifs principalement liés aux missions diplomatiques du pays – peuvent être saisis en cas de défaut de paiement », souligne M. Nahas. Et d’ajouter : « Cela veut dire que l’or serait saisissable en cas de défaut de paiement, jusqu’à preuve du contraire. »
« Ces questions ne se sont jamais posées parce que le pays a, jusqu’à présent, toujours honoré ses engagements financiers. Mais maintenant que nous sommes sur la corde raide sur le plan financier, elles sont plus que jamais au centre de l’actualité », conclut-il.