Le non-État et la soumission à l’extérieur sont une seul et même chose
Les élections présidentielles et la délimitation maritime sont une même comédie
La défaite appelle la résistance
Le pouvoir a réussi son coup à travers les élections législatives, après avoir dompté la société, en dépensant vingt milliards de dollars, après l’explosion du port et après avoir distillé la peur. Le pouvoir a pu ainsi renouveler sa légitimité formelle envers l’extérieur, et organiser l’attente d’arrangements, extérieurs aussi, par l’instauration d’une vacance systématique, tout en se prémunissant de l’émergence d’une quelconque majorité, s’exonérant de la responsabilité de gouverner.
Une fois rassuré, le pouvoir a commencé à s’organiser pour proroger, à tout prix, le système du non-État, en s’appuyant à l’intérieur sur les simulacres et les illusions, et vis-à-vis de l’extérieur sur la soumission et l’assujettissement, en utilisant ceci pour renforcer cela.
A l’intérieur, une comédie avec un double titre : les élections présidentielles et la formation du gouvernement, agrémentée, en musique de fond, de débats constitutionnels cocasses, et, en face, une extension continue de la série des fausses promesses, pour distraire la société d’affronter sa réalité catastrophique, depuis les financements de CEDRE, à la reconstruction de la Syrie, aux cartes de subvention et de « soutien ciblé » des pauvres, jusqu’aux fonds généreux du Fonds Monétaire International, et enfin la transformation du Liban en pays pétrolier. L’Irak déchiré n’est-il pas un pays pétrolier ?
Envers l’extérieur, pas de comédies ni de jeux, mais une dépendance et une soumission bien réelles, qui sont la face complémentaire et inévitable de l’attente d’une issue de secours par un pouvoir foncièrement spectateur, car toujours en attente d’occasions extérieures, le plus souvent financières, et qui parie sur les extérieurs pour asseoir sa légitimité. Aujourd’hui, cette dépendance se manifeste par la délimitation de la frontière maritime.
Loin des prétentions de victoire, l’accord de délimitation a confirmé les concessions libanaises de manière définitive et non ambiguë, tandis que les acquis libanais sont restés conditionnés, l’inévitable arbitre à cet égard n’étant autre que les Etats-Unis, installés dans le rôle de l’honnête médiateur avec, sous leur couvert, la société française Total, jouant le généreux bienfaiteur. Les retombées de la délimitation restent théoriques ; et même si des revenus sont réalisés, cela ne se fera que dans de nombreuses années ; et quand bien même ces revenus seraient réalisés, ils seront au mieux de quelques milliards de dollars, et seront gérés par le non-État qui a déjà consommé les 300 milliards de dollars que les expatriés ont envoyés après avoir été eux-mêmes « exportés » par ce même pouvoir, et utilisés pour échanger l’octroi de bénéfices et de prébendes contre l’achat des loyautés.
L’acceptation de cet accord n’est pas partie de l’intention de garantir les ressources nécessaires pour mettre fin à l’exacerbation de la crise financière et instaurer une répartition équitable et orientée des pertes et des sacrifices, allégeant ainsi leur fardeau. Un État formulerait un projet explicite et graduel et, sur sa base, négocierait, accepterait ou rejetterait, conclurait des trêves ou ferait même la guerre ; il évaluerait la situation, les ressources, et les risques ; il peut se tromper ou avoir raison. Mais l’État anticipe, initie et décide. Quant au non-État communautaire, il s’hypothèque, attend, ajourne et trompe, et produit angoisses et illusions.
Cet accord est survenu dans le cadre du non-État, pour servir deux objectifs hâtifs et immédiats, indépendamment de toute considération relative à la réalisation de ces ressources, aux dates de leur réalisation et à leurs possibles utilisations : Il est venu d’abord comme un moyen de satisfaire les États de la région et du monde ayant une influence au Liban, tous : les Etats-Unis, Israël, la France et le Qatar, mais aussi la Turquie, la Russie et l’Italie, et d’autres encore ; alors que les négociations ne se sont pas arrêtées à huis clos depuis quinze ans, l’accord est tombé aujourd’hui, justement, pour permettre à Israël de commencer immédiatement le pompage. Il est venu aujourd’hui aussi afin de préserver le système actuel, malgré son échec catastrophique, en alimentant et en ravivant le feuilleton des illusions.
Les Libanais ont longtemps cru pouvoir se dispenser d’un État, avec des coûts exorbitants ; mais l’État est aujourd’hui une nécessité urgente. Le système confessionnel qui a émergé en substitution à l’État en est aujourd’hui l’antagonique.
Le péché originel est le système communautaire du non-État. Il est la cause réelle, fondamentale et structurelle de l’effondrement financier, économique et social. L’effondrement ne s’est pas produit soudainement, ni à la suite d’un siège imposé par ci ou par là, ni du fait de l’intensification des conflits régionaux. Il était connu, prévu et inévitable. L’effondrement est à son tour la raison des concessions de la délimitation et de concessions qui vont suivre.
Cependant, tout cela mis à part, l’accord de délimitation ne peut être compris que comme une défaite pour tous ceux qui portent une véritable hostilité au projet sioniste. L’abandon par le Liban d’une grande partie de la part qui lui revient de droit ainsi que de sa capacité par la suite à reprendre l’initiative, tout cela n’est venu que pour conforter, fut-ce pour une courte période, la légitimité d’un régime qui n’est pas hostile au projet sioniste, mais qui est plutôt l’ennemi de tous ceux qui prônent la libération dans la région.
Il est difficile aujourd’hui de ne pas se rappeler l’accord du 17 mai 1983, lorsque les forces inféodées à l’axe américain avaient signé un accord de paix avec l’ennemi sioniste, et que la Chambre des députés l’avait approuvé à la quasi-unanimité. Sauf qu’à l’époque, des forces extérieures se sont opposées à l’accord, l’Union Soviétique et, par suite, la Syrie ; des forces locales ont ensuite entrepris de le miner. Et la même Chambre des députés l’a annulé, toujours à l’unanimité. Les choses ont changé depuis lors, nous sommes passés d’Andropov à Poutine, et de Philip Habib à Hochstein… mais les seigneurs de la guerre sont restés. On voit aujourd’hui que le parti hostile au projet sioniste et le plus capable de l’empêcher est le garant de cet accord parrainé par les Américains, en contraste frappant avec les motivations de la résistance et les sacrifices de tous les résistants, et cela à cause de la poursuite de l’engagement du Hezbollah dans le régime du non-état et sa défense obstinée de ce régime, et au retrait des partis de la résistance nationale dans les marigots « des forces du changement ».
Près de quarante ans se sont écoulés entre le 17 mai et le 17 octobre ; entretemps l’État s’est désintégré et le pouvoir des milices et des communautés s’est consolidé. Depuis lors, quarante années de destruction systématique de la société, de la nature et des institutions, qui se révèle aujourd’hui sous la forme de pertes colossales et d’un mécanisme désespéré qui finit d’anéantir, jour après jour, le peu qui reste. Quarante années se sont écoulées en passant d’une étape mensongère à une autre, l’étape de la reconstruction qui était en réalité de la destruction, l’étape de la paix qui était en réalité de la reddition, l’étape de la souveraineté qui était en réalité de la soumission, et aujourd’hui l’étape de l’attente du redressement par le gaz, qui est en réalité la perpétuation de la défaite de notre société et qui contribue à la défaite des peuples libres de la région.
La réponse à l’attente organisée est la mobilisation et l’organisation, car la défaite appelle la résistance.
Et la résistance est une action qui doit servir un objectif précis : établir la légitimité assurée d’un État juste et capable.
Le 16 octobre 2022