Le confessionnalisme ou la vie ?

« Le confessionnalisme ou la vie » est une formule qui touche particulièrement notre période actuelle. Tous les libanais et libanaises admettent qu’il n’est pas question de sortir du gouffre dans lequel le pays des cèdres est plongé depuis des décennies, sans s’attaquer à la structure du régime et du pouvoir politique en place : le confessionnalisme.

Plus que jamais les méfaits de ce système n’ont été visibles dans la société libanaise comme elles le sont aujourd’hui. Depuis presque un siècle, le germe de cette « bactérie politique » ne cesse d’affecter négativement l’existence collective des libanais. Ses conséquences, de plus en plus fatales, continuent à entraver l’économie libanaise : immigration massive des jeunes libanais, montée des inégalités sociales, absence de sécurité, etc.

Face à la situation actuelle, il est urgent de se poser quelques questions sérieuses sur la manière dont nous, libanais et libanaises, vivons et voulons continuer à vivre dans le futur Liban.

 

Le confessionnalisme : un patronage communautaire

L’accord de Taëf signé en 1989 était censé réformer l’État libanais à l’issue de quinze ans de guerre civile. Alors que cet accord visait des réformes fondamentales (abolition du confessionnalisme, dissolution des milices, remise des armes à l’État libanais, etc.), rien de concret n’a été mis en place, et la promesse de sortie du confessionnalisme est restée complètement ignorée. Le pouvoir central, unique et puissant d’un État libanais supposé unifié a été cependant remplacé par des entités confessionnelles. Il consiste désormais à servir les intérêts communautaires, ainsi qu’une poignée de milliardaires libanais corrompus, au nom d’un religieux instrumentalisé.

Dans ce contexte de rivalités féroces, les libanais et libanaises accaparé(e)s par leurs combats de survie, plongent chaque jour de plus sous le seuil de crises multiples.

Sauver l’économie de l’emprise du confessionnalisme

La nature du système confessionnel lui autorise un pouvoir légal et structurel sur la totalité de l’économie du pays. Les partis communautaires ayant pris l’État en otage, l’économie se trouve dépecée entre élite politique et banquiers à grand appétit ; un ordre social maintenu par l’organisation soignée de l’invisibilité de ses défaillances (camouflage de la corruption, parrainage des milices, favorisation des paradis fiscaux, etc.).

En effet, l’emprise du confessionnalisme sur l’espace économique libanais se manifeste dans les diverses structures économiques au sein du pays (ordres professionnels, associations patronales, syndicats). Ces dernières proclamant leur pouvoir auprès des chefs communautaires, élargissent les marges de manœuvre du système, portant ainsi atteinte aux attributs essentiels de l’État. Un État censé être fort, juste, effectif et efficient se trouve fragmenté et tiraillé entre les divers pôles de pouvoir. Les inégalités politiques, sociales et monétaires qui en résultent relèvent un point critique sur l’économie du pays. C’est la survie des libanais qui est mise en cause au quotidien. À noter que, dans une société profondément divisée comme la nôtre, où la possibilité d’organiser dignement sa vie se présente comme l’exception et non pas la règle, s’insérer dans le confessionnalisme est un impératif pour assurer à chacun sa propre survie. Pour faire simple, trouver l’argent indispensable à sa survie matérielle nécessite d’aller s’employer auprès d’un chef communautariste, c.à.d. à ses propres conditions et exigences. Tenir donc les libanais et libanaises individuellement et collectivement, en prenant en otage leur vie même, est plus à la mode que jamais.

Dans ce paysage, il ne s’agit plus de proposer des réformes à un système vermoulu et de lui donner un supplément de viabilité politique, mais de procéder à une nouvelle forme de pouvoir. Pour répondre réellement au défi de la crise économique actuelle et donner avantage à la survie de la société par rapport à celle du régime politique, il faut en toute urgence faire reculer la logique des chefs communautaires, et donc l’emprise du confessionnalisme sur la société.

 

À la croisée des chemins

Le confessionnalisme n’est pas un fait de nature ni un sort définitif à accepter. C’est un produit de politiques publiques faites de mains d’hommes, et qu’il est temps de le combattre et de le remplacer par de mains d’hommes et de femmes. Tant que les structures du confessionnalisme lui autorisent de pousser encore plus ses avantages, ce système restera une puissance en marche. Tant qu’il n’y aura pas un contrepoids, une force inverse qui s’opposerait à ce régime, les partis communautaires préserveront leur contrôle malgré l’effondrement actuel auquel fait face la société. Le temps est venu pour que l’immobilisme désespérant de notre classe politique, ainsi que l’injustice quotidienne que subissent les Libanais et Libanaises deviennent un levier collectif pour sortir de la logique défensive, s’affranchir du confessionnalisme et constituer un avenir commun politique : un État laïc, fort et juste.

Nous voici donc à la croisée des chemins : soit nous sortons du confessionnalisme, et nous nous sauvons nous-mêmes et l’économie (voir article : Abolissez le confessionnalisme !), soit nous nous laissons enrôler dans des crises sans fin, qui mèneront tôt ou tard vers une dilapidation de notre société.

Nous voici donc à la croisée des chemins, où il est nécessaire de se poser des questions sérieuses, et de choisir entre « le confessionnalisme » ou « la vie ».

Chady JABBOUR

Économiste, CNRS, France