La scène apparente :
Les discours qui encombrent la scène, la crainte manifeste chez tous, les argumentaires opposant, d’une part, ceux qui annoncent exploits et réformes, et, d’autre part, ceux qui manœuvrent pour gagner du temps et appellent à s’armer de patience, les argumentaires lancés de part et d’autre, et dérivant tous d’interprétations tortueuses de la souveraineté et de la coexistence, tout cela exprime clairement une même réalité : l’enfermement collectif dans un système moribond, à un moment qui apparaît, pour tous, comme la fin d’un monde.
Non, ce n’est pas la fin du monde. La dualité apparente des deux camps est en fait une complémentarité, elle exprime leur impuissance totale, impuissance qui, dans les circonstances actuelles, menace notre société. Il existe une alternative à leur solidarité de fait.
La substance :
La politique est affaire de décisions, de prises de risques et de connaissance des réalités, elle n’est pas simplement affaire de discours véhéments et de répartition de rôles. La résistance est un outil et non une identité; l’État est aussi un outil, tout comme la Constitution.
- La résistance naît en réaction à l’agression d’un ennemi, mais elle est autant la réponse à une défaite acceptée par le système en place; qu’elle se termine partie intégrante de ce système, c’est dilapider les sacrifices consentis.
- L’État est un outil dont un intérieur se dote pour traiter avec l’extérieur, qu’il s’agisse d’alliés, d’acteurs neutres, d’adversaires ou d’ennemis. Mobiliser les ressources et consolider la légitimité constituent sa raison d’être et la justification de sa Constitution.
Les outils — résistance et État — servent des objectifs qui ne se définissent qu’en fonction de contextes en mutation constante.
Notre position :
Le Liban est en danger, les choix sont nécessaires et possibles :
- Le projet sioniste est une menace réelle; le confronter est un choix indispensable ; ne pas le faire entraînerait la dissolution de la société. Il s’étend dans toute la région : il tue, expulse et affame en Palestine, il détruit, divise et fragmente en Syrie. Il se sert des communautés confessionnelles et de leurs formules de coexistence pour démanteler les sociétés, comme il l’a fait durant la guerre civile libanaise et comme il l’applique aujourd’hui en Syrie. Allons-nous accepter d’utiliser les outils dont se sert l’ennemi contre notre société pour la défendre?
- Par l’antériorité de ses expériences, le Liban a été précurseur dans une région aujourd’hui déchirée et en perdition. Il a connu la guerre, ses arrangements politiques, et la paralysie engendrée par ces mêmes arrangements, quarante ou cinquante ans avant l’Irak et avant la Syrie.
- Pour faire face à la faillite, aux migrations et à la restructuration de la région par le sang et les capitulations, l’outil est l’État ; et, au Liban, au vu de ce dont nous héritons, l’État ne peut être ni militaire ni religieux. Il sera donc laïque ou ne sera pas.
- L’instrumentalisation de l’émigration pour attirer les transferts puis voler les dépôts et en être réduit à mendier à droite et à gauche, est précisément ce qui a rendu notre société incapable de faire face aux conséquences de la restructuration de la région.
- L’accord de Taëf visait à mettre fin à la guerre et à transférer le pouvoir de la bourgeoisie et des notables — autrement dit, de la majorité de ceux qui l’ont signé avant de disparaître de la scène, à la génération issue des chefs de guerre, sous un parrainage régional. Il a rempli ce rôle. Merci.
- Les communautés sont des substituts à l’État, elles annulent sa capacité ainsi que sa légitimité opérationnelles. L’État doit protège les communautés comme un fait social hérité, il ne saurait être constitué par elles.
La proposition d’actions:
La position politique, responsable, ne consiste pas à se ranger dans l’enfermement réciproque de deux camps pareillement incapables de faire face à des réalités nouvelles et changeantes, un enfermement qui commande les communautés, les discours, les médias et les analyses. Elle se doit de traiter les dynamiques qui gouvernent cette réalité et de mettre en œuvre les moyens de les infléchir et de les changer.
Les victoires se gèrent, les défaites aussi. Les pertes sont des sacrifices précieux. Toutes les ressources — humaines, matérielles, techniques, institutionnelles et financières — doivent être préservées par une gestion réaliste. Notre position politique se traduit par les mesures suivantes :
- Opérer un recensement de tous les résidents et des émigrés libanais afin de connaître la réalité de leurs situations familiales, d’âge, de santé et d’éducation et de déterminer les lieux de résidence effective et le statut légal de chaque individu avec les implications pratiques qui en découlent.
- Instaurer un service civil et militaire obligatoire pour tous, et mobiliser toutes les capacités disponibles, afin de permettre à l’État de protéger la société et de faire face aux menaces qui la visent.
- Etablir un système financier efficace pour mobiliser les ressources humaines, institutionnelles et productives, et non pour financer la consommation par l’organisation de l’émigration des Libanais.
- Adopter un système de représentation politique où l’appartenance à une communauté demeure l’exception et relève d’un choix individuel, l’État étant le garant de la protection ceux qui adhèrent aux communautés, les uns des autres, voire d’eux-mêmes.
- Généraliser les services de base afin de renforcer la légitimité de l’État, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, et mettre en place un système fiscal qui ne contribue pas au gonflement des coûts et des prix domestiques, freinant ainsi l’investissement et la production et poussant à l’émigration, à l’endettement et à la mendicité.
- Confronter toutes les thèses de morcellement — racistes, religieuses ou tribales — et porter les alternatives politiques, à savoir la légitimité laïque de l’État, en partant du Liban, à l’échelle régionale, en Syrie déchirée et, bien entendu, en Palestine.
Ceux qui le veulent, mais d’abord ceux qui en ont le courage, sont invités à s’organiser et à œuvrer pour mettre fin à l’emprisonnement dans les rôles, les peurs et les compromissions, à faire fructifier les expériences et les sacrifices, et à mobiliser toutes les ressources dans un projet qui rassemble le Liban et peut sauver la région.