Liban : la crise n’est pas une fatalité
Tribune publiée par « Citoyens et Citoyennes dans un État » dans le journal « Libération »- le 10 décembre 2019 et disponible sur ce lien.
Si les manifestations qui durent depuis deux mois sont le résultat direct de la faillite des modèles économique et politique, la crise libanaise peut être l’opportunité d’instaurer un véritable état laïque.
Tribune. La réunion internationale prévue à Paris ce mercredi 11 décembre avec le gouvernement démissionnaire du Liban est inquiétante. Le crédit accordé à la même équipe par la tenue en avril 2018 de la conférence Cedre, un mois avant les élections législatives, a déjà fait perdre au Liban un temps précieux et plusieurs milliards de dollars. La gestion de la crise est devenue bien plus douloureuse. Les manifestations qui durent depuis deux mois et ont entraîné la démission du Premier ministre Saad Hariri sont le résultat direct de la faillite du modèle économique mais surtout du modèle politique.
Durant plus d’une année, le gouvernement s’est adonné à des malversations notoires et a produit un projet de budget falsifié et ridicule avant de découvrir la prétendue «pénurie de dollars». La méconnaissance des données économiques les plus élémentaires a fait place au déni de la crise catastrophique de la balance des paiements pour laisser enfin la place à des gesticulations politiciennes risibles ; ses principaux protagonistes se découvrant subitement une âme de réformateurs et même de révolutionnaires, une fois les Libanais descendus dans la rue pour crier leur colère.
Depuis un mois, les chefs communautaires se défaussent à qui mieux mieux de leurs responsabilités ; ils attisent d’une part les tensions confessionnelles et enfoncent d’autre part le pays dans les conflits régionaux. Ils cherchent par-là à diviser le soulèvement populaire, à se positionner pour l’après-crise auprès de leurs sponsors étrangers et à mettre la main sur les actifs tant publics que privés à des prix bradés, sous la pression de la crise, en mobilisant les capitaux qu’ils ont eu le loisir de sortir à temps, sous couvert d’un contrôle des capitaux non-déclarés et discrétionnaire ou encore les capitaux des fonds vautours avec lesquels ils ne manqueront pas de faire alliance.
La France et tout autre pays qui participeraient à prolonger l’emprise de cette bande de chefs communautaires, d’une manière ou d’une autre, commettraient un crime contre le peuple libanais. Il est temps pour le Liban, mais aussi pour les pays de la région, de mettre fin à l’emprise des mafias en transformant la crise dans laquelle le pays s’enfonce en une occasion historique d’instaurer, au terme d’une transition pacifique, un véritable Etat. C’est-à-dire un Etat laïque dont la légitimité ne serait pas empruntée à la religion, à l’armée ou aux bases militaires étrangères, mais aux choix de politiques publiques qui reconnaissent les réalités sociales et économiques et qui les confrontent avec courage, quelles qu’en soient les difficultés.
Ce sera aussi l’occasion pour les Libanais de reconnaître, parmi les puissances étrangères, celles qui se tiendront à leurs côtés pour sortir de la crise avec une société sereine et digne et celles qui feront commerce de leurs malheurs.