Tripoli

Communiqué du mouvement des Citoyens et Citoyennes dans un État

Beyrouth le 29/01/2021

Le spectacle des affrontements à Tripoli et dans d’autres régions du Liban ces derniers jours est très pénible et très inquiétant.

Pénible, car les habitants de la ville devenue la plus pauvre de la côte Méditerranéenne crient leur douleur, comme le reste de leurs concitoyens, face à un pouvoir incapable et défaillant, dont l’incapacité et la défaillance atteignent des sommets de criminalité. Ils crient leur douleur, leur faim, leur colère, avec la spontanéité de la victime qui saigne, et la virulence de l’homme libre qui se rebelle.

Mais inquiétant, car cela même qui a tracé le chemin de l’effondrement auquel nous assistons, ce système des chefs sectaires, se réjouit du spectacle des affrontements, parce qu’il voit dans la violence une esquive des questions difficiles, au prix de plus de destructions et d’avantage de victimes.

Nous, du mouvement des Citoyens et des Citoyennes dans un État, fidèles à notre devise que la Politique est une Responsabilité, nous déclarons :

  1. Ce chapitre nouveau de la rue, malgré son déclenchement lié à la souffrance profonde et objective de la population, mais avec ses conséquences et les risques de ses répercussions, ouvre la voie à la violence de laquelle nous avions mis en garde depuis le début du soulèvement, qui peut débuter spontanément, et dont personne ne sait comment elle va se développer ni quand elle se terminera, et au profit de qui, à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur.
  2. 2. Traiter ces affrontements comme un simple « complot de l’extérieur », et les combattre par la répression, c’est aussi une escalade dans le crime, qui instaure volontairement une guerre intérieure sur des bases confessionnelles, et des antagonismes régionaux, qui accélère la destruction de la société dans son ensemble, et met des pauvres face aux pauvres et des désespérés face aux désespérés.
  3. Toute présence dans la rue, que ce soit en signe de protestation, de confrontation, de désobéissance ou sous toute autre forme, si elle n’est pas associée à un projet politique clair et déclaré, et malgré la sincérité des intentions, offre un moyen d’action au profit des tenants de projets effectifs, dans le pays et à l’étranger. Par conséquent, nous invitons les Libanais et les Libanaises à être présents massivement dans la rue mais sous le couvert d’un projet politique clair. C’est la responsabilité des forces politiques sérieuses, c’est-à-dire des forces responsables, de présenter leurs propositions et leurs options, et de chercher à entrainer les gens derrière elles, et non pas de suivre l’expression spontanée de la douleur et de la colère des gens, de la dévoyer et de l’exploiter. Dans cette situation très délicate, où les confrontations sur le terrain occupent les médias et les réseaux sociaux traditionnels, nous sommes confrontés à une nouvelle scène apparemment ridicule mais intrinsèquement dangereuse: le budget 2021

Le ridicule est le spectacle du « Ministre des Finances » du gouvernement démissionnaire qui, quatre mois après la fin du délai constitutionnel, présente un projet de budget pour un pays sur une autre planète, où le dollar est à 1500 livres libanaises et les recettes fiscales sont en hausse, sans crise financière, et sans ralentissement économique lié à la crise locale et à la pandémie du covid, et sans cessation de paiement de la dette publique (ce qui signifie en pratique la faillite de l’état libanais), et rien de tout cela… Les affaires continuent et « tout va bien ».

Mais le dangereux, et le plus important, c’est la tentative de mobiliser la structure juridique pour piller l’avenir de cette société, avec des mesures techniques en apparence, mais dont l’essence est criminelle. Nous en mentionnons deux, en exemple, pour leur importance :

1-Détruire l’avenir de l’administration publique, en modifiant le système de retraite des employés du secteur et en les privant des dernières garanties qui contribuent à lui attirer des compétences, comme la retraite et la couverture maladie, et en le remplaçant par une compensation de fin de service dans une monnaie dont la valeur s’écroule, au lieu de la généralisation de la retraite à tous les travailleurs et de la couverture maladie pour tous les citoyens

2.Ouvrir la porte aux institutions commerciales (banques bien sûr, mais aussi Solidere et autres…) pour qu’elles réévaluent leurs actifs en livres libanaises, après leur effondrement, en échange du paiement d’une taxe symbolique plus proche de l’exonération totale, ce qui signifie en pratique laisser flotter ces institutions et falsifier  leur faillite par des astuces comptables qui la dissimulent, même si l’argent des déposants est perdu, plutôt que d’obliger les propriétaires à couvrir leurs pertes avec leurs propres fonds.

Le système des partis sectaires, en crise, défaits et otages de leurs partisans et de l’extérieur, et les incapables, se préparent à deux hypothèses : des guerres internes si l’extérieur ne trouve pas un règlement qu’ils suivraient, ou la préemption d’un arrangement s’il se produit, qui serait aux dépens du peuple et non à leurs dépens. Sans arrangement extérieur, ils maquillent leur impuissance en organisant les affrontements entre les gens, en commençant par les pauvres d’entre eux. Par un arrangement extérieur ou en l’attendant, ils voleront les espoirs des gens et leur argent.

La seule option aujourd’hui reste le renversement du rapport de force en faveur d’un système politique qui établit un État au Liban, un État laïque civil, confiant en sa légitimité, qui considère la société dans sa réalité, malgré l’héritage maudit, et traite avec l’extérieur en étant conscient de ses intérêts et de ses ambitions, pour les aligner sur les intérêts des Libanais, et s’appuie sur leurs capacités, à tous, pour qu’ils deviennent des citoyens et des citoyennes dans leur Etat.