Invitations à Rencontrer le Ministre Français des Affaires Étrangères

Beyrouth, le 6 Mai 2021

L’Ambassade de France a adressé aux “partis et groupements d’opposition”, comme elle les appelle, une invitation à se réunir avec le Ministre des Affaires Etrangères français pendant la visite qu’il effectue au Liban. La position de la France avait évolué d’une proposition de formation d’un gouvernement « de mission », à l’appui de la formation d’un gouvernement présidé par Saad Hariri, puis plus récemment vers la nécessité de former un gouvernement doté de prérogatives législatives exceptionnelles. Cette évolution est le signe d’une prise de conscience grandissante de la détresse de la situation au Liban et de l’incapacité des chefs communautaires à y faire face.

Il n’en demeure pas moins que la proposition française reste dans le cadre de la recherche de moyens, sans aller jusqu’à l’examen des causes de l’effondrement ; elle comporte encore moins une préfiguration de solution. Le mouvement « Citoyens et Citoyennes dans un Etat » considère que la cause de l’effondrement financier et des drames que vivent les Libanais ne relève ni du hasard ni d’un complot, ni même d’une carence dans les technicités ou dans le contrôle, mais du système politique basé sur l’exclusivisme de l’assemblée des chefs communautaires et sur le partage des pouvoirs entre eux. Ce système qui a prévalu au Liban depuis la guerre a épuisé ses propres ressources depuis aussi loin que le milieu des années 90 ; il ne doit sa survie jusqu’à très récemment qu’à une succession de circonstances exceptionnelles et de croisements d’intérêts politiques internationaux qu’il a su instrumentaliser pour perdurer, fût-ce au prix d’un accumulation des pertes jusqu’à un niveau jamais connu.

Sans une identification claire du point de départ et sans préciser le point d’arrivée, en d’autres termes sans un projet politique, il ne sert à rien de parler de moyens, de gouvernement, d’élections ou de quoi que ce soit d’autre.

Au sein du mouvement « Citoyens et Citoyennes dans un Etat », nous avons défini le point de départ, c’est-à-dire le diagnostic, mais aussi l’objectif, c’est-à-dire le projet politique, et nous avons tracé la voie menant de l’un à l’autre, c’est-à-dire les moyens d’action politique, et nous la suivons. Nous ne voyons aujourd’hui sur la scène que deux propositions cohérentes : celle du pouvoir en place qui se limite à tenter de consolider l’association de ses partenaires afin de se maintenir en gérant une situation de pénurie et de répression, dans l’attente d’une opportunité extérieure dont ni le temps ni la teneur ne sont connus ; et la nôtre, qui est basée sur le besoin urgent du Liban d’avoir un véritable état, autrement dit et dans la réalité libanaise, un état laïc dont la légitimité et les assises seraient instaurées par sur un gouvernement de transition disposant de pouvoirs législatifs. Tout le reste n’est rien de plus qu’une expression d’objections, une présentation de pétitions, allant jusqu’aux limites du carnavalisme.

Notre projet est public et documenté, et son vocabulaire est désormais sur toutes les langues ; nous travaillons à le renforcer afin de modifier le rapport des forces et d’imposer aux tenants du pouvoir en place la négociation d’une transition pacifique. Quiconque se considère dans le camp de l’opposition est invité à débattre de ce projet, que ce soit pour l’appuyer, pour le critiquer ou pour le rejeter. Mais s’il le rejette, il devra alors proposer un projet alternatif, sinon il rejoindrait, même sans le vouloir, le camp des dirigeants du pouvoir en place.

En attendant cela, rien ne justifiait notre participation à la réunion convoquée par l’ambassade de France, et ce pour éviter deux écueils: d’une part pour ne pas gaspiller les efforts que nous déployons sur la scène libanaise en vue d’établir une formule différente du rapport de l’État aux citoyens et à leurs préoccupations et diluer nos propositions au milieu de slogans épars ou d’aspirations contradictoires ; d’autre part pour ne pas placer les Français en témoins de l’émiettement qui gouverne notre scène nationale à un moment où nous nous efforçons de trouver des ententes sur des options claires.

Nous affirmons notre disposition à traiter avec l’extérieur, notamment avec les pays qui prêtent encore une attention à la situation tragique du Liban, en tête desquels se trouve la République Française, même si nous savons qu’en tant qu’État, la France a ses considérations et ses intérêts propres, et ce après que l’échec du système des chefs communautaires a transformé notre pays en mendiant aux portes des États, ou en plat sur leurs tables de négociations.

La politique est une responsabilité, et nous clamons haut et fort nos choix, tant à l’intérieur qu’à l’étranger, parce que nous y croyons fermement ; nous nous y tenons tant dans les négociations, dans les élections, dans les alliances ou sur les différents terrains, prenant en compte l’utilité de chacun d’eux.