Un État laïque pour la Palestine entière

Le sionisme est un projet politique à portée mondiale. Ce projet a levé une armée. Cette armée a fondé un état et cet état a constitué une société. Que ce soit dans sa réalité ou dans son imaginaire, cette société commence à se transformer en fardeau pour l’état, pour l’armée et pour le projet sioniste lui-même.

Cette société est un fardeau pour un état incapable de former un gouvernement et qui se cherche une légitimité dans des orientations religieuses extrémistes tout en s’appliquant à rallier l’image stéréotypée de l’Occident. Un état dont les politiciens rivalisent d’opportunisme et de surenchères, poussent vers un exclusivisme communautaire et ritualiste qui s’applique aux Juifs eux-mêmes et s’acharnent à opprimer les Palestiniens et à les enfermer dans un régime d’apartheid, dans la grande prison de Gaza en premier, à Jérusalem et dans la Cisjordanie démembrée en second, et finalement dans les territoires annexés de 1948 où les appels à expulsion des Arabes vers la Jordanie s’expriment désormais publiquement.

Où en est Israël des illusions du « Nouveau Moyen-Orient» qui ont accompagné la supercherie du « processus de paix » aux débuts des années 90 ? Voilà qu’il se transforme en une forteresse inquiète à la recherche de correspondants par-delà le désert et à travers un Moyen-Orient qu’elle contribue activement à déchirer et à désertifier, et dont le Liban fait partie.

Cette société est aussi un fardeau pour une armée incapable aujourd’hui de souffrir quelque perte que ce soit et qui se barricade derrière une sophistication technologique qui suscite en contre partie des réponses technologiques.

Cette société est finalement un fardeau pour le projet sioniste lui-même qui s’est tout d’abord épanoui en se nourrissant de l’antisémitisme occidental, qu’il a ensuite exploité pour s’assurer du soutien des états occidentaux en les absolvant de leurs crimes envers les juifs, pour finalement se mobiliser en vue de contribuer à élargir la mainmise impérialiste sur l’Orient proche de l’Europe et sur les routes commerciales qui relient les territoires des empires. Le projet sioniste aujourd’hui nourrit l’antisémitisme en Occident en donnant précédence à l’identité juive sur la citoyenneté dans ces États et en se rapprochant des courants les plus racistes en leur sein. Il contribue ainsi à ébranler les sociétés occidentales, déjà fragmentées par l’immigration et la globalisation débridée et à mettre leur sécurité-même en danger.

Le destin des Palestiniens n’a pas été seulement d’affronter une société, une armée ou un état, mais de se confronter à un projet mondial. Un projet fondé sur une complicité pernicieuse, voir infernale, entre un racisme occidental avec lequel le projet sioniste a pactisé et un racisme que le projet lui-même a exercé en lieu et place de l’Occident contre les enfants de la Palestine et de la région. Les conflits identitaires semblent être des outils de mobilisation faciles et efficaces, mais ils annulent les marges de décision et de liberté et détruisent les humains ainsi que les sociétés. Le projet raciste et religieux peut réussir à détruire les sociétés qu’il agresse mais, même dans ses succès, il détruit aussi la société où il s’impose ou qu’il a engendrée.

Malgré la terreur, les agressions et l’injustice, les Palestiniens n’ont pas désespéré. Ni la violence ni le temps n’ont pu briser leur volonté. Ils ont consenti les sacrifices sans compter. Face à l’immensité de ces sacrifices et face à la réalité du projet sioniste qui ne se confine pas à un territoire mais se trouve être, de par sa fonction fondatrice, un projet mondial qui a effectivement affecté les populations de notre région et ses sociétés, les Palestiniens ont besoin d’aide. Pour cela, nous nous devons de soutenir ceux qui résistent en Palestine, nous nous devons d’assurer une vie digne à ceux qui ont été exilés, mais cela ne suffit pas. Nous nous devons en premier lieu les aider à formuler un projet politique qui les affranchisse du cycle des réactions aux agressions israéliennes et des chaînes que constituent les identités.

Les Libanais ont servi la Palestine de deux manières en apparence contradictoires. À travers ceux qui, volontairement depuis 1948 et jusqu’à nos jours, quelles que soient leurs affiliations politiques, ont résisté à Israël et ont démontré qu’il peut être tenu en échec. Mais aussi à travers ceux qui, prisonniers des agressivités identitaires des communautés et de leurs intérêts étroits, ont fait la grave erreur de parier sur Israël et ont ainsi découvert, qu’il peut mépriser et trahir. Mais le Liban peut aujourd’hui faire bien plus. En tirant les leçons de son expérience amère, il peut contribuer à la formulation d’un projet politique qui atteint le projet sioniste dans ses prétentions et sa légitimité. L’élaboration du projet politique alternatif au projet sioniste est nécessaire pour éviter aux Palestiniens des territoires de 1948 de se diviser et de se fourvoyer dans les méandres de la politique Israélienne. Un tel projet aurait été nécessaire pour éviter à Yasser Arafat, lâché par les régimes arabes après avoir payé le prix de paris aventureux, de se jeter dans les bras de l’Occident dans un énième pari qui s’est soldé par l’instauration de l’autorité palestinienne, qui n’est rien de plus qu’un instrument au service de l’armée d’occupation et une ONG réduite à la mendicité pour financer une société dysfonctionnelle, et qu’il faut aujourd’hui abolir. Un tel projet est finalement nécessaire pour éviter aux “factions islamistes” qui mènent une résistance militaire légitime et courageuse de devoir se barricader derrière des thèses religieuses qu’Israël se plaît à instrumentaliser pour justifier ses propres thèses religieuses et racistes. Leur succès à mobiliser les ressources de la résistance limitent leur capacité à proposer un projet politique alternatif au projet sioniste. La résistance n’est ni une fonction ni un objectif en lui-même. Elle est une réaction à la défaite et un refus de l’admettre. Par ses sacrifices et sa noblesse, elle est le moyen d’imposer le projet politique et social alternatif à celui qui est à l’origine de la défaite.

Cela requiert évidemment un changement dans la nature et la teneur des négociations entre les factions de la Résistance palestinienne ainsi qu’un changement dans le paradigme qui régit la confrontation avec Israël. La résistance ne peut se limiter à des ripostes militaires dissuasives, ayant pour objectif de modifier le rapport de force en vue de négociations sur des accords de cessez-le-feu éphémères et à répétition. L’acte de résistance doit modifier le rapport de force au profit d’un projet politique qui rassemble les factions résistantes et qui constituerait la base des négociations.

Au Liban, nous avons à imposer un changement dans le rapport de force à des adversaires politiques qui sont partie prenante de notre société.  Les Palestiniens doivent imposer des négociations à un projet mondial. Ce défi est immense, il a pour théâtre le monde entier et son coût est bien plus élevé. Mais quelles que soient les différences de coûts et de moyens, l’imposition de négociations requiert la clarté du projet politique et la liberté de décision. Ce que nous proposons aujourd’hui à tous les Palestiniens, à ceux qui résistent sur leur terre et à ceux qui ont été exilés, à tous les résidents de la terre de Palestine, mais aussi au monde entier, est un projet qui est l’antithèse du projet sioniste et qui se résume en quelques mots: Un état laïque pour la Palestine entière.