Le gouvernement malchanceux de Hassan Diab

24 mars 2020

Que fait le gouvernement de Hassan Diab ?

Que savons-nous du virus Corona ?

Nous connaissons le nombre de décès parmi les patients infectés et qui sont sous traitement.

Mais connaissons-nous le nombre total de patients infectés ?

Bien sûr que non. Donc nous ne connaissons pas le taux de mortalité parmi les personnes infectées par le virus ni le degré de sa gravité. En effet, la grande majorité des patients n’est pas soignée et ne sait même pas qu’elle est infectée.

Ce que nous savons vraiment, à part le nombre de décès, c’est la capacité hospitalière. En effet, les décisions de mise en quarantaine et de couvre-feu ne visent en réalité qu’à retarder l’arrivée des patients dans les hôpitaux et à couvrir le manque de capacités, d’équipements et de tests pour le dépistage de la maladie. Cela est vrai au Liban, comme dans la plupart des pays. Ce que craignent les classes dirigeantes, ce n’est pas une épidémie, car, selon ce que disent les dirigeants, la maladie se propagera tôt ou tard, à moins qu’un vaccin ne soit atteignable. Ce qu’elles craignent, c’est que les hôpitaux soient dans l’incapacité de recevoir tous les patients simultanément et par conséquent, soient révélées publiquement leurs déficiences et leur mauvaise gestion.

D’où de sérieuses questions : combien de temps dureront les couvre-feux ? Qu’arrivera-t-il aux gens, non pas à cause d’une maladie, mais à cause de l’interdiction de se déplacer et de travailler qui s’imposent à leur encontre?

Cette problématique se retrouve également dans tous les pays, mais doublée d’ampleur au Liban. Le Corona n’est pas venu effacer les effets de la faillite comme certains voudraient l’imaginer, ou l’espérer, à commencer par leur enchantement que les mouvements populaires se soient arrêtés, mais plutôt multiplier son impact.

Le corona a frappé toutes les économies du monde et a réduit, entre autres, le prix du pétrole. Ce qui rend l’obtention de l’aide pour le Liban beaucoup plus difficile et rend beaucoup plus étroites les portes de l’émigration devant les Libanais. Non seulement à cause de l’interdiction de voyager, mais aussi à cause de la détérioration des conditions économiques dans les pays vers lesquels ils se dirigent.

Comment les gens gèrent-ils leurs affaires quand la plupart d’entre eux sont privés de tout revenu ?

Cette réalité n’est pas « retombée » sur une économie saine. Il y a deux semaines, le gouvernement a découvert que l’État ne pouvait plus payer ses créanciers en dollars et a annoncé qu’il cesserait de payer, modifiant simplement la misérable réalité à une décision, sur toutes les euro-obligations, soit 30 milliards de dollars à la fois.

Les chefs communautaires ont applaudi cette réalisation, devenant soudainement « les soutenants » des dépôts des déposants, même si ce sont eux-mêmes qui ont accumulé cette dette, et qui ont applaudi à chaque échéance des euro-obligations pendant vingt-cinq ans, et ce sont eux-mêmes, dans le dernier gouvernement d’union nationale, qui avaient payé la dette de sept milliards et sept cents millions de dollars, pour les possesseurs d’euro-obligation (quatre milliards sept cent dix millions de dettes principales et deux milliards neuf cents millions d’intérêts), malgré l’avertissement explicite que leur avait adressé le mouvement de « Citoyens et Citoyennes dans un Etat » en octobre 2018.

Ils ont oublié que ce qui permet aux déposants d’obtenir leurs dépôts en dollars, si cela compte vraiment pour eux, est l’une des trois options : soit l’État rembourse les euro-obligations aux banques libanaises, qui en détiennent la majorité ; soit la Banque du Liban rend les dépôts en dollars qu’elle a attirés auprès des banques libanaises ; soit les banques libanaises vendent leurs euro-obligations à des investisseurs étrangers.

Les deux premières solutions ne sont plus disponibles, car la Banque du Liban est aussi en faillite. Ses engagements extérieurs surpassent ses capitaux, et c’est précisément ce qui a fait que le pays a cessé de payer les euro-obligations.

La troisième solution qui a été adoptée par les banques a conduit à l’introduction de nouveaux créanciers dans l’arène. Ces créanciers ne se sont pas impliqués avec la confiance que les euro-obligations seraient remboursées, mais c’est précisément parce qu’ils savaient avec certitude qu’elle ne serait pas remboursée. Après avoir acheté les euro-obligations pour le quart de leur valeur nominale, ils avaient l’intention de devenir un parti discrétionnaire dans l’administration de la faillite afin de négocier d’obtenir le peu d’argent qui reste, en particulier l’or, ou de déduire de nouveaux prêts qui peuvent être accordés par le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale, ce qui dépasse les sommes qu’ils avaient investies, afin qu’ils puissent réaliser de grands profits.

Dès que le gouvernement a annoncé l’arrêt du paiement, ceci a été oublié. La préoccupation primaire du gouvernement sera maintenant le contrôle des capitaux : Capital Control.

Des dizaines de versions du texte juridique attendu sont en circulation et partent toutes de la première version que la Banque centrale avait présentée avant la formation du gouvernement, mais annexée aux commentaires et suggestions d’ici et d’ailleurs.

Qu’est-ce que le contrôle des capitaux ?

Il s’agit d’un ensemble de mécanismes mis en place par les pays pour limiter les transferts de fonds en devises à l’extérieur du pays et les limiter aux dépenses principalement liées aux besoins locaux de rationnement et de production tels que déterminés. Ce sont des mesures qui sont prises lorsque le solde des avoirs extérieurs du pays est faible ou est menacé de diminuer en raison des pertes attendues.

Au Liban, des mesures de contrôle des capitaux ont été prises depuis que la banque centrale a spécifié les marchandises importées qu’elle finance et depuis que les banques ont décidé de cesser les virements et les transferts vers l’étranger, à l’exception des chanceux, bien sûr.

Aujourd’hui, il n’y a plus d’actifs détenus par des banques en devises étrangères.  Ceux qui restent auprès de la Banque du Liban ne sont même pas autorisés à financer l’importation de fournitures médicales. En d’autres termes, il n’y a plus de capital (capital) à contrôler (control).

Alors pourquoi cet intérêt ? La seule explication est que cette loi ne vise qu’à légaliser la saisie de l’épargne des déposants avec effet rétroactif.

Après le Capital Control, on parle d’une ponction généralisée sur les dépôts bancaires, ou « haircut« , c’est-à-dire de radier une partie des dépôts afin de réduire les dettes contractées par les banques et donc de couvrir une partie de leurs pertes. Elle est jointe à une proposition concernant la conversion d’une autre partie des dépôts en capital pour améliorer également les conditions des banques.

Toutes ces opérations ne sont rien d’autre que des jeux de gestion qui annulent une partie des dépôts, mais n’économisent pas la partie restante, car les dépôts qui ne sont pas affectés par la hiérarchie ou qui ne sont pas convertis en capital ne seront pas obtenus en devises étrangères, car il ne reste plus de devises étrangères.

Tout ce qu’il est encore possible de payer est la partie restante des dépôts en livres libanaises, qui ont perdu 50% de leur valeur et qui perdront plus de leur valeur à chaque fois que des livres libanaises sont pompées à travers ce qu’ils appellent «la libération de petits dépôts ».

Ce discours est orné de l’intérêt des chefs d’autorité pour les intérêts des pauvres. Ils prétendent que les dépôts qui seront annulés par le « haircut » ou en les convertissant en capital ne seront pas les dépôts de petits déposants. Ce qu’ils ne disent pas, et peut-être qu’ils ne savent pas, c’est qu’une grande partie des dépôts qu’ils ciblent et ont l’intention de sacrifier concernent les fonds de sécurité sociale et les fonds de soutien mutuel pour les enseignants, les avocats, les médecins, les ingénieurs, les pharmaciens et autres, qui dépassent les dix milliards de dollars. Mais cet argent appartient en fait à la moitié du peuple libanais. Et les pertes qui le menacent s’ajouteront au fait que la partie en livre libanaise a perdu près de la moitié de sa valeur, tandis que la partie en dollars n’est plus accessible, à un moment où les revenus des fonds ont diminué en raison de la détérioration des conditions économiques et les institutions, à commencer par l’État, n’ont pas respecté leurs obligations.

Tout cela ne sert qu’un seul objectif : continuer à nourrir l’illusion qu’il existe toujours un système bancaire qui fonctionne au Liban.

Il est devenu clair avec la faillite premièrement, et avec le Corona deuxièmement, que le pouvoir politique est incapable non seulement d’anticiper la crise qui menace le pays, mais aussi de la reconnaître quand elle se produit.

D’autre part, la réelle capacité de ce pouvoir  réside dans la couverture d’une crise par la provocation d’une autre crise, et la couverture de l’anxiété par une plus grande anxiété.

Et aujourd’hui, sous prétexte de pauvreté, elle s’apprête à raviver les gloires du clientélisme et à acheter des loyautés qu’elle détenait depuis des décennies. Au lieu d’établir une couverture sanitaire universelle, de réaliser un recensement des résidents, de fixer les droits fondamentaux des citoyens à la santé et à l’éducation, d’allouer les ressources nécessaires aux hôpitaux et de compenser les perturbations forcées imposées par le couvre-feu dans des secteurs spécifiques – elle est bien sûr incapable de faire tout cela – elle organise des dons pour que les pauvres et nécessiteux finissent par remercier les dirigeants politiques et qu’ils oublient les erreurs et les péchés que ceux-ci ont commis. Et ici, le gouvernement sollicite un prêt de cinq cents millions de dollars de la Banque mondiale pour financer ce qu’on appelle le programme de lutte contre la pauvreté, par lequel chaque dirigeant, par le biais de ses collègues des municipalités et des mukhtars, mobilise ses « pauvres » et les fidélise.

Le gouvernement malchanceux de Hassan Diab : le porte-parole pour la faillite annoncée.

La loi sur le contrôle des capitaux avait été évoquée au début de leur prise du pouvoir, et lorsque l’impact de ses effets est apparu, ses auteurs les ont désavoués directement : ils ont désavoué à la fois la loi et le gouvernement. La libération d’Amer al-Fakhouri leur tombe dessus aussi. Et les tragédies liées au Corona vont suivre.

Pendant combien de temps les vrais dirigeants auront-ils besoin de ce gouvernement ? Ou bien ses membres décideront de renoncer au rôle formel qui leur a été confié pour dire franchement ce que l’expérience leur a permis de découvrir :

Il devient nécessaire d’avoir un véritable État, sans aucune coalition de chefs de secte, un État civil qui n’a pas besoin d’emprunter sa légitimité à quiconque, mais qui la tire d’une interaction directe avec la société dans sa réalité. Que les membres du gouvernement démissionnent et qu’ils rejoignent ceux qui travaillent à développer cette alternative avant qu’il ne soit trop tard.