LE LIBAN : UN RETOUR PROCHE VERS L’ESPACE?

Chady JABBOUR
Économiste, CNRS, France
Le 27/03/2021
Montpellier, France

Quelques jours après le succès de la Tunisie à lancer son premier satellite entièrement fabriqué localement, et suite aux déclarations récentes de la Turquie concernant son programme spatial de 2023, (et sans y ajouter les activités spatiales des pays comme le Soudan, l’Égypte, l’Angola, l’Éthiopie, le Ghana, le Rwanda, l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya, le Maroc, l’Algérie, les Emirats Arabes Unis…) plusieurs questions nous reviennent à l’esprit, nous citoyens et citoyennes dans un état « souhaité » : Où en est le Liban actuellement du boom économique de l’Espace ? N’est-il pas temps d’investir dans les technologies spatiales et de prendre la vague mondiale du progrès ? Quand est-ce que le pays des Cèdres se donnera-t-il les moyens de prendre part au développement de ces technologies ?

Est-ce une folie de poser de telle problématique ? Un crime pour un excès d’ambition ? Ou bien un rêve qui devrait rester inaccessible ? Est-ce que la réponse à une demande pareille devrait s’amortir, comme ce fut le cas pendant ces dernières soixante années : « mich hala2 wa2ta » (il n’est pas temps) ? Faut-il toujours que les volontés soient accablées et entravées, signe d’acceptation d’un destin paralysé par l’impuissance ?  Les libanais et libanaises n’ont-ils pas le droit, à l’entrée du XXIème siècle, de partager avec la science et le monde entier, une idée qui aurait pu naître au-delà des étoiles ?

Ma réponse, à titre personnel, est bien sûr que OUI, avec pleine conscience de la vulnérabilité que peut engendrer une telle proposition, intrusive et dérangeante surtout en temps de crise, et bien évidemment déstabilisante pour une classe politique qui préfère garder les pieds (et la dignité) sur terre.

Une réalisation d’une telle revendication (que ce soit en temps de prospérité, ou bien en temps de récession comme à présent) apparaît pour une majorité de ceux qui sont au centre du pouvoir et de la prise de décision, aussi lointaine que les planètes qui les entourent. Il ne faut surtout pas perturber la stagnation des idées qui règnent dans la galaxie étatique libanaise, même si l’investissement dans ce secteur présente une opportunité, parmi d’autres, pour une relance d’une économie libanaise diversifiée.

 

 

 

Contexte mondial

L’économie et la gestion de l’Espace font actuellement l’objet d’une préoccupation mondiale grandissante :

  • Un contexte international très actif, avec le déploiement des grands systèmes d’observation de la terre : les programmes américain Landsat et européen Copernicus, la création de globes virtuels par des sociétés commerciales (e.g. Google Earth, Planet), l’arrivée des acteurs du « New Space », la multiplication des start-ups spatiales et l’émergence des micro et nano satellites (e.g. SpaceX, Blue Origin, Firefly Space) ;
  • Un contexte de numérisation massive des sociétés, avec un accroissement exponentiel du volume des données issues du « Big Data » et des techniques de l’intelligence artificielle ;
  • Des transformations numériques qui en découlent avec des enjeux en termes de coûts et d’impacts socio-économiques ;
  • Un rôle de plus en plus essentiel dans divers contextes de prise de décision : gestion des ressources naturelles, évolution de l’occupation des sols, pratiques agricoles, statistiques démographiques, villes intelligentes, etc. ;
  • Un support pour le suivi de plusieurs enjeux environnementaux et de développement territorial : changement climatique, protection de la biodiversité, suivi des services éco-systémiques, etc.

Le Liban : où en est-il de cette effervescence ?

Le développement du secteur spatial est loin d’être à la hauteur de l’ambition du jour. Les seuls exemples sur notre sol se limitent au  projet du Pr. Manougian (1960-1966) pour le lancement des rockets libanais (Lebanese Rocket Society) et l’activité menée par le centre national de télédétection (National Center for Remote sensing), avec quelques initiatives timides lancées en 2018 pour la construction du premier nano satellite libanais.

Au moment où les nations allouent des budgets spécifiques pour le développement de leur activité spatiale, le Liban ne dispose pas jusqu’à présent d’infrastructures spatiales ni de satellites propres pour se fournir les données dont il a besoin. Sa dépendance repose toujours sur d’autres pays, et le nécessité continue d’acheter ses données, et quelques services, lui ajoute une pression financière, et surtout politique, vu les enjeux stratégiques mondiaux que présente ce secteur, et plus particulièrement dans la région du Moyen-Orient.

Opportunités politico-économiques 

Signe de puissance, de développement et de prestige, l’Espace présente plus que jamais, une opportunité importante à saisir. Pour autant que cela paraisse irréalisable dans le contexte libanais actuel, l’investissement dans les technologies de l’Espace fera naître de nouvelles opportunités pour initier et accompagner le développement de plusieurs secteurs. L’utilisation et le traitement de l’information spatiale se traduiraient en une floraison économique au sein de la société libanaise. Elles permettraient de créer des emplois, ainsi que de gagner en efficacité dans une diversité de domaines. Ci-dessous quelques exemples qui mériteraient d’être discutés exhaustivement:

  1. Dans les domaines agricole et forestier 
  • Faire évoluer les pratiques agricoles et accompagner la transition vers une agronomie numérique (e.g. logiciels d’aide à la décision basés sur les technologies spatiales) ;
  • Concevoir des solutions accessibles aux agriculteurs pour une gestion raisonnée et un accompagnement de l’état sanitaire de leurs cultures ;
  • Donner des informations sur l’évolution des ressources en eau, l’évolution des cultures saisonnières, le niveau d’humidité des sols, etc. ;
  • Fournir des outils pour un développement plus durable des terres agricoles ;
  • Accompagner la gestion des forêts et parcs naturels.
  1. Dans le domaine de la gestion des catastrophes naturelles
  • Fournir une meilleure gestion des aléas naturels : les séismes, les inondations, les phénomènes de désertification, les périodes de sécheresse.
  1. Dans le domaine de l’aménagement des territoires
  • Suivre l’état de l’urbanisation des territoires ;
  • Fournir un support pour la surveillance territoriale ;
  • Accompagner la planification et la gestion des infrastructures et réseaux de transports.
  1. Dans le domaine militaire
  • Renforcer les stratégies de défense et de sécurité nationales ;
  • Assurer un support à la navigation à travers des systèmes de positionnement ;
  • Accompagner les politiques de délimitation des frontières (terrestres et maritimes).
  1. Dans le domaine de la technologie informatique et industrielle
  • Développer des applications à base d’informations spatiales (services de géolocalisation, outils de télécommunications et d’ingénierie, assurance et prévision, cartographie de précision, etc.)
  • Participer à l’émergence de nouveaux marchés à base d’innovation et de science ouverte (Open science & innovation) ;
  • Permettre des utilisations interdisciplinaires (agriculture/assurance, santé/environnement, gestion web/analyse, etc.)
  1. Dans le domaine du tourisme
  • Valoriser les lieux touristiques à travers des fonctionnalités riches et « user-friendly » ;
  • Promouvoir les activités sportives et loisirs (mettre en valeur les chemins de randonnée, construire des itinéraires et sentiers personnalisés, fournir des topo-guides numériques) ;
  • Créer des bases de données facilement partageables à l’échelle d’un territoire.

Recommandations pratiques

Le Liban a de solides atouts pour développer ce secteur (infrastructures de données spatiales, satellites et nano-satellites, applications, etc.), notamment à travers sa communauté créative de scientifiques, d’ingénieurs et d’étudiants.

Il est temps :

  • De développer une stratégie spatiale nationale, avec une vision alignée avec les différents besoins industriels et socio-économiques de la société libanaise ;
  • De repenser les systèmes éducatifs, scolaires et universitaires, afin de consacrer une place plus importante aux technologies avancées, et plus particulièrement celles du spatial ;
  • D’établir des partenariats public-privés et de s’appuyer sur toute sorte de capacité et expertise qui puissent favoriser le développement de cette industrie prometteuse ;
  • De s’insérer dans un consortium de coopération arabe et structurer une feuille de route régionale pour un développement coopératif de l’industrie spatiale dans les années à venir ;
  • De bénéficier des relations internationales et les mettre en profit pour construire des partenariats dans ce secteur (e.g. Europe, Russie, États-Unis, Chine, Japon) ;
  • De proposer des emplois dans ce domaine, et que l’économie de l’Espace ne soit plus juste un rêve, mais une simple réalité pour tous les libanais et libanaises ;

Il est temps de sortir de la galaxie actuelle du Liban, pour un retour sérieux et rapide vers l’Espace.