Pour tuer le désespoir avant qu’il ne nous tue les uns après les autres

Un citoyen libanais a choisi de mettre un terme à ses jours, plutôt que de vivre sous le fardeau de l’ignominie de ne pouvoir scolariser ses enfants dans une école privée.

Plutôt que de se pencher sur les raisons de son acte, les représentants des partis au pouvoir, et à leur tête le Ministre de l’Éducation Nationale, se sont pressés de faire des déclarations blessantes, bientôt suivis par d’autres aussi bien depuis le Liban que d’ailleurs. En ce faisant, ils ont transformé le geste désespéré de Georges Zreik face à l’humiliation en une parade d’aumônes, accroissant ainsi l’humiliation de sa famille après son décès.

Pour agir de manière responsable, pour peu qu’il y ait encore des personnes responsables, deux questions interférentes devraient être posées : celle de la pauvreté et celle de l’enseignement, et à travers eux la question de la dignité humaine.

Lorsque l’État n’est plus et que règne l’hypocrisie, qui prend en charge effectivement l’enseignement ? Les enseignants et les enseignantes avant tous les autres. Les enseignants et les enseignantes dans les écoles privées, que les propriétaires de ces écoles accusent de cupidité au motif qu’ils réclament un ajustement de leurs salaires, et qui sont mis face aux parents d’élèves alors que les propriétaires des écoles ont déjà doublé, voire même triplé les scolarités depuis 1996. Pendant ce temps, le pouvoir de facto représenté par le Ministère de l’Éducation Nationale se tient en apparence à l’écart du problème, alors qu’il intervient en fait pour couvrir les propriétaires des écoles dans leurs violations d’une loi on ne peut plus claire.

Les enseignants et les enseignantes dans les écoles publiques, que les parents d’élèves tiennent pour responsables de la situation lamentable de l’enseignement public, alors que la destruction de ce secteur est la résultante d’une action organisée par les chefs des forces de facto. Ainsi les parents d’élèves n’hésitent pas à sacrifier jusqu’à leur propre vie afin de pouvoir diriger leurs enfants vers l’enseignement public.

Quant à la pauvreté, ce qu’il en apparaît aujourd’hui est minime ; ce qui reste à venir est encore plus dramatique.

Le gouvernement « CEDRE » nous promet une augmentation des impôts et une diminution des prestations sociales, le tout pour optimiser les conditions nécessaires à l’accroissement de l’endettement extérieur, ce qui conduit fatalement à encore plus de pauvreté et à encore plus de drames. Ceux qui prétendent combattre la corruption n’hésiteront pas à faire passer des arrangements dont on sent d’ores et déjà l’odeur nauséabonde dans le discours de politique générale du nouveau gouvernement, notamment dans les secteurs des transports, de l’énergie et des télécommunications. Ceux-là même qui croient pouvoir continuer à nier leur responsabilité dans les agissements qu’ils ont commis et qui ont été la cause directe dans les catastrophes que nous vivons au quotidien, et dans celles qu’occasionnera forcément la crise financière imminente.

Au sein de « Citoyens et Citoyennes dans un État », nous refusons d’être alarmistes, mais en même temps, nous refusons d’être faussement rassurants. Nous sommes tout autant révoltés par l’acharnement de certaines à détruire la société par l’imposture, que par les souffrances que vivent au quotidien nos concitoyens. Nous connaissons les besoins de notre société : il lui faut une alternative claire et réfléchie au despotisme des chefs de guerre et de milices.

La période actuelle ne doit nullement être sous le signe de l’atermoiement ou de la dramatisation excessive. La période actuelle doit être mise sous le signe de la répartition juste et pertinente des pertes et des charges, afin que s’arrête enfin la série des suicides.

  • Une répartition juste qui prendra en compte les possibilités de chaque catégorie, afin que les pertes ne soient pas supportées uniquement par les catégories les plus faibles de la société ;
  • Une répartition pertinente qui pourra assurer une transition saine d’une société et d’une économie gouvernées par l’inquiétude et le suivisme vers plus d’aptitude, afin que les sacrifices ne soient pas effectués pour rien, si ceux qui ont occasionné les pertes demeureront au final sur les trônes de leurs privilèges ;
  • La répartition juste et pertinente protégera l’épargne des Libanais dans les diverses caisses où cette épargne se trouve, de la Caisse nationale de la sécurité sociale, aux caisses de retraites et de santé.
  • La répartition juste et pertinente renforcera les prestations sociales que la société garantit par priorité, et au premier chef desquelles se trouvent la santé et l’enseignement de tous les enfants sans distinction.

Rien de cela ne pourra se faire tant que le pouvoir restera confiné entre les mains de six ou sept leaders, lesquelles nomment leurs représentants au gouvernement, au parlement, ainsi qu’au sein de nombreux organismes volés à la société et, depuis lors, domestiqués.

C’est pour cela que nous adressons un appel, d’abord aux parents d’élèves et à leurs associations, mais aussi à tous ceux qui sont conscients des risques et des responsabilités, pour que nous puissions oeuvrer ensemble pour prendre en main notre présent et pour tracer conjointement l’avenir de notre société.

Pour tuer le désespoir avant qu’il ne nous tue les uns après les autres.